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Orban réécrit l’histoire de la Shoah en Hongrie

Le Premier ministre hongrois espère que l’ouverture en 2021 d’un musée très controversé sur la Shoah à Budapest contribuera à sa réélection, l’année suivante.

Horthy, à gauche, accueillant Hitler à Budapest en 1939

Viktor Orban est accusé d’avoir fait de la Hongrie la première « non-démocratie »  de l’Union européenne, depuis que la crise du coronavirus lui a permis de s’attribuer les pleins pouvoirs pour une durée illimitée. Premier ministre depuis 2010, après avoir déjà exercé le pouvoir de 1998 à 2002, Orban s’est posé dès 2014 en chantre de la « démocratie illibérale » et d’un populisme très critique envers ses partenaires européens. Une telle régression démocratique se déroule alors qu’Orban s’est lancé dans une vaste entreprise de révision de l’histoire de la Shoah.

LE PETAIN HONGROIS

Orban s’est employé depuis de longues années à réhabiliter l’amiral Miklos Horthy, régent du royaume de Hongrie de 1920 à 1944. Très proche de l’Italie fasciste, puis de l’Allemagne nazie, Horthy promulgue à partir de 1938 toute une série de lois antisémites. Il participe au dépeçage de la Tchécoslovaquie, en 1938, de la Roumanie, en 1940, et à l’invasion de la Yougoslavie, en 1941, année de son intégration à l’Axe hitlérien. Qualifié par « Le Monde » de « Pétain hongrois », Horthy autorise, en mai-juillet 1944, la déportation de 437.000 Juifs de Hongrie, pour la plupart vers Auschwitz-Birkenau. Quelque deux cent mille fonctionnaires hongrois sont mobilisés, sous occupation allemande, pour ce qui est la plus importante et la plus rapide des opérations de déportation de toute l’histoire de la Shoah. Horthy est renversé en octobre 1944 par les nazis hongrois des « Croix-fléchées ». Accueilli en 1945 par le dictateur Salazar, Horthy meurt exilé au Portugal en 1957. Au total, 565.000 Juifs hongrois ont été exterminés durant la Shoah.

Orban qualifie pourtant Horthy, en 2017, d’  « homme d’Etat exceptionnel ». Il a auparavant laissé des élus de son parti rendre hommage par des statues ou des noms de rues à l’ancien régent. Il a lui-même, en 2014, imposé sur la place de la Liberté de Budapest un « mémorial des victimes de l’invasion allemande », où un aigle allemand attaque un ange Gabriel hongrois, comme si l’ensemble des Hongrois avaient été victimes des nazis, sans aucune mention des Juifs. Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix et rescapé de l’Holocauste, avait alors protesté, comme d’autres personnalités juives, contre une telle réécriture de l’Histoire. En cette même année 2017 où il couvre Horthy d’éloges, Orban lance une virulente campagne contre le philanthrope américain George Soros, lui-même un survivant de l’Holocauste en Hongrie. Orban recycle les clichés antisémites les plus nauséabonds, accusant Soros de diriger un « réseau de spéculateurs internationaux », du fait de son soutien aux libertés en Hongrie.

LA MAISON DES DESTINS

Outre un impressionnant Musée juif, situé dans l’ancien quartier juif de la capitale,  Budapest dispose depuis 2004 d’un remarquable Mémorial de l’holocauste, à la fois espace d’exposition et centre de recherche. Après avoir tenté de déstabiliser cette institution en réduisant son financement et en imposant une autre direction, Orban a affecté 24 millions d’euros à la construction d’un musée alternatif, au bâtiment achevé depuis plusieurs années. Il en a confié la muséographie à une de ses fidèles, Maria Schmidt, déjà responsable à Budapest de la « Maison de la terreur », un mémorial assimilant nazis et communistes, mais se concentrant sur les seules « Croix-Fléchées », sans jamais évoquer la dictature Horthy. Cette fois, la « Maison des Destins », ainsi que le nouveau musée est appelé, devrait mêler les témoignages des victimes de l’occupation nazie et souligner, plutôt que la collaboration du régime Horthy, les actes de courage des Hongrois envers leurs compatriotes juifs (867 Hongrois sont considérés comme des « Justes » pour 4099 Français, plus de 76.000 Juifs de France ayant été exterminés durant la Shoah).

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, est très proche d’Orban dont il partage les convictions « illibérales » et l’obsession anti-Soros. Il n’a émis aucune réserve sur le projet de « Maison des Destins », malgré le trouble au sein de la communauté juive de Hongrie et les sévères critiques de Yad Vashem, le Mémorial de la Shoah à Jérusalem, ainsi que du Musée de l’Holocauste de Washington. Orban et Nétanyahou, tous deux invités d’honneur à l’investiture du président brésilien Jair Bolsonaro, en janvier 2019, sont alors convenus de tout faire pour éteindre la polémique. Orban a promu le rabbin ultra-orthodoxe Slomo Köves comme caution juive de la « Maison des Destins », même si son courant Chabad/Loubavitch est très minoritaire chez les Juifs hongrois. Köves s’est porté garant du philosémitisme d’Orban en mettant en avant les bonnes relations du Premier ministre hongrois avec Nétanyahou : « Israël représente les Juifs mille fois plus que Soros et si Israël est perçu positivement, cela affecte positivement l’attitude envers les Juifs ». Orban a finalement accepté d’écarter du projet la très polémique Maria Schmidt, mais sans rien amender de son dessein originel d’une célébration de « l’histoire d’amour » entre la Hongrie et les Juifs.

Orban travaille désormais à une inauguration de la « Maison des Destins » en 2021, dans la perspective de sa propre reconduction au pouvoir l’année suivante, qu’il espère aussi brillante qu’en 2018. Car c’est bien dans ce cadre plus large de la régression « illibérale » de la Hongrie et de la volonté d’Orban de s’installer au pouvoir que s’inscrit une telle entreprise de réécriture de l’histoire de la Shoah.

PAR JEAN-PIERRE FILIU / le monde (lien)

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