Yaacov, après avoir passé vingt ans chez Lavan, son beau-frère, décide de le quitter. Il part rejoindre son père Yitshak au pays de Kénaane, sans en informer Lavane. Le troisième jour, on rapporte à Lavane que Yaacov s’est enfui. Il le poursuit alors, et va le rattraper dans la montagne de Guil’ad. Et là, va s’engager une conversation. Lavane va adresser des reproches à Yaacov : « Pourquoi t’es-tu caché pour fuir ? Pourquoi m’as-tu volé ? Je t’aurais accompagné dans la joie, avec des chants, avec des tambourins et des harpes ! Pourquoi as-tu volé mes dieux ? ». Lavane fait référence ici aux térafim. Ces térafim étaient une sorte de avoda zara (d’idolâtrie) dont se servait Lavane pour prédire l’avenir.
Yaacov ignorait alors que Ra’hel avait volé les térafim, comme il est écrit:
וַתִּגְנֹב רָחֵל, אֶת-הַתְּרָפִים אֲשֶׁר לְאָבִיה
« Vatiguenov Ra’hel eth hatérafim acher léaviha (Ra’hel vola les térafim qui appartenaient à son père) ».
Comme nous l’explique Rachi, Ra’hel a alors agi dans l’intention de détacher son père de l’idolâtrie. Mais quel est le sens caché de ces térafim ? Pourquoi Lavane y était-il tant attaché ?
Lorsque Lavane s’est rendu compte de la perte des térafim, il en a éprouvé un profond malaise, et il est immédiatement parti à leur recherche. Et lorsqu’il rencontre Yaacov, sa première volonté est de récupérer ces térafim. Bien évidemment, on ne parle pas ici d’un simple objet qui a disparu. Il y a quelque-chose de beaucoup plus profond.
Ces térafim étaient, pour Lavane, d’une importance capitale, car ils prédisaient l’avenir.
Lavane était totalement incapable de s’en remettre à Dieu. Il voulait que le futur soit révélé à ses yeux. Marcher comme un aveugle dans l’obscurité était quelque-chose d’inacceptable. Il désirait avoir la maîtrise de la vie, et ne pas dépendre d’une force qui échappe à son contrôle.
Cette philosophie athée de l’existence, qui voit chaque événement comme étant le produit d’une relation de cause à effet, est dénuée de toute croyance en Dieu. Et c’est précisément cela qui a conduit Ra’hel à voler ces térafim. Ra’hel cherchait, en quelque sorte, à éradiquer cette conception erronée qui dénigre Dieu, et contraindre ainsi Lavane et son père à appréhender la vie autrement.
Cette messirout néfesh de Ra’hel a été transmise à ses descendants :
– à Yossef d’abord, qui voyait la providence divine dans chaque chose;
– puis à Binyamin, dont il est écrit qu’il est l’ami de Dieu (yédid Hachem);
– puis, par la suite, à Mordékhaï qui est un descendant de Binyamin, et dont il est écrit: »ouMordékhaï lo yikhra’ vélo yichta’havé (des mots signifiant que Mordékhaï ne s’est pas prosterné devant Haman) ».
Ein od milévado ! Il n’existe rien en dehors de Dieu ! Aucune force, aucun pouvoir, ne peut agir dans le monde : c’est Dieu Lui-même qui intervient, et qui agit dans le monde. Les présidents, les dirigeants du monde, sont des envoyés de Dieu, qui exécutent, sans même le savoir, la volonté du Créateur.
L’objectif de Ra’hel était d’éliminer la conception de la vie rappelée par les térafim, et qu’on appelle avoda zara (l’idolâtrie). Mais qu’est-ce que la avoda zara ?
La avoda zara, c’est croire que « ‘olam kéminhago nohègue », que le monde fonctionne de lui-même, en « pilotage automatique », où tout est prévu d’avance, et où rien ne peut changer, car tout fonctionne selon un processus de cause à effet. Que tout événement qui survient dans la vie est finalement le résultat d’une cause originelle.
Cette conception erronée conduit l’homme à se détacher de Dieu. Car si tout est prévisible et donc déterminé, où est Dieu ?
Mais nous, Juifs, pensons autrement : le fondement-même de la émouna est que l’ensemble de la création est entre les mains de Dieu. Même lorsqu’il nous semble que des causes naturelles ont été à l’origine d’un succès ou d’un échec, celles-ci ne sont rien d’autre que des moyens employés par le Créateur pour réaliser Sa volonté.
Éradiquer les térafim, c’est croire que le futur n’est pas la continuité évidente de la situation dans laquelle je vis au présent; et qu’au contraire, ce futur ne dépend que de Dieu.
Le Gaon de Vilna affirme que Ra’hel n’a pas menti lorsqu’elle a dit :
כִּי לוֹא אוּכַל לָקוּם מִפָּנֶיךָ, כִּי-דֶרֶךְ נָשִׁים לִי
« Ki lo oukhal lakoum mipanékha ki dérekh nachim li (je ne pourrai pas me lever devant toi, à cause de l’incommodité habituelle des femmes) »: Ra’hel avait compris que la avoda Zara était comparable à l’impureté de nida. Essayons de comprendre cela.
Ré’hem, en Hébreu, signifie la matrice, c’est-à-dire le membre qui va permettre l’enfantement.
En inversant l’ordre des lettres du mot ré’hem (rech, ´heth, mem), on obtient le mot ma’har (mem, ‘heth, rech), qui signifie « demain », et donc une projection vers l’avenir. Le ré’hem débouche sur le ma’har, sur le futur, où le nouveau-né est une hit’hadeshout, une nouveauté, qui n’est pas rattachée au passé, et n’est donc pas la continuité du présent.
L’état d’impureté de nida vient annuler la dimension du ma’har, de la nouveauté, puisque la matrice est privée du koa’h yétsira, c’est-à-dire du potentiel de création d’un nouvel être.
L’impureté de nida et la avoda zara expriment donc la même idée : l’exclusion de toute possibilité de hit’hadeshout, de nouveauté. Et donc de tout futur.
Le ma’har, c’est le ‘hidoush, la nouveauté, qui s’élève au-delà des limites imposées par un système de relation de cause à effet, au-delà d’un présent qui va fatalement générer un futur prévisible et déterminé.
Les térafim ont-ils pourtant disparus aujourd’hui ?
Dans notre génération, nous cherchons toujours (malheureusement) une cause à tout événement qui se produit. Nous continuons à fonctionner selon ce système de relation « cause–>effet », et nous percevons le futur comme étant une continuité prévisible du présent.
Les économistes, les statisticiens, les dirigeants politiques et autres prédicateurs d’avenir interprètent tout. Rien n’échappe aux prévisions, aux statistiques ! Tout s’inscrit dans un processus naturel infaillible, d’une cause qui va déboucher sur un résultat prévisible. Mais tout ceci n’est qu’une illusion, et le peuple juif en est la preuve vivante !
La survie du peuple juif est miraculeuse, et contredit toutes les prévisions qui le condamnaient à disparaître.
En cette période de troubles, d’actes de barbarie commis au quotidien, d’attentats sanglants, ne cherchons pas de cause à l’événement qu’on est en train de vivre, comme le font certains et tournons plutôt nos yeux vers Dieu, la Cause des causes !
Ein od milévado, rien n’existe en dehors de D.ieu !
Cessons de spéculer sur la date de la venue du Machia’h, sur la guerre de Gog et Magog, avec des propos démagogiques et fantaisistes qui envahissent internet et les réseaux sociaux et qui ne mènent nulle part !
D.ieu n’attend qu’une seule chose de son Peuple : la téchouva authentique, qui consiste à revenir vers Lui et à s’attacher à la Torah et aux mitsvot !
C’est l’unique façon d’amener la guéoula en douceur et c’est aussi le secret de notre survie.
Yossef Aflalo / espacetorah (lien)
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